Il était une fois...
Un seul souvenir. Percutant.
Tu volais, tel un ptérodactyle, grisé par l'adrénaline et le sang pulsant dans ses oreilles.
Tu te sentais bien, pleinement vivant, accompli.
Tu volas, chutas de mètres en mètres jusqu'à embrasser le sol de toute ta face, de toutes tes dents.
Un premier baiser, percutant, douloureux et plaisant..
Si tes os avaient été brisés, un sourire était né sur tes lèvres.
Tu l'avait fait, toi, l'handicapé.
Ils vécurent heureux et...
C'était il y a un an ou peut-être deux.
Tu es arrivé ici comme un petit Jesus nouveau né, nu et dépouillé de toute chose. Tu dormais paisiblement contre le flan d'une bête à la recherche d'un peu de douceur et de chaleur, la paille ne te grattant pas assez pour t'éveiller de ton seul souvenir.
Tu t'es réveillé comme un paysan, au chant du coq. Tu as regardé autour de toi, perdu, étranger à cet univers. Tu étais effrayé, enfin tu le crois, tu ne te souviens plus bien car tout s'était écrit bien vite depuis cet instant, ne te laissant pas le temps de te souvenir. Cependant si on devait te lire ta biographie, voici ce qu'on raconterait :
« Une jeune fille rentra dans ta nouvelle maison, regarda ta nudité, grimaça à la vue de ton corps sans jambe et disparut la seconde d'après dans l'entrebaillement de la porte. Elle avait pris peur. Tu resta là, sans broncher, te serrant juste un peu plus l'animal, refermant les yeux pour t'immerger pour la seconde fois dans ton rêve.
Tu respiras dans le poil dru de ton compagnon à sabot et, pensif, secoua un peu la tête. En y repensant, la réaction de la fille ne t'avait ni surpris, ni peiné car même si tu n'arrivais pas à t'en souvenir tu avais la sensation de connaître ce genre de sentiment de dégout envers ton corps tronqué. Enfin, il fallait l'avouer : c'était moche et ça faisait pitié et pour cette raison, tu pouvais leur pardonner.
Quelques minutes plus tard, un homme adulte cette fois ci, apparut. En te regardant droit dans les yeux et sans paraître gêné par ton handicape il te donna des vêtements. Tu les enfilas. Il te demanda si tu avais des prothèses pour tes jambes. Tu lui répondis que tu les avais perdu. Il te dit qu'elles ne devaient pas être loin. Il chercha dans la paille et les trouva. Tu murmuras un merci rapide et sans un mot de plus tu les enfilas. Ainsi tu pouvais enfin marcher, ta vie pouvait commencer
Une vie d'un tempo lent et répétitif ponctuée de notes dynamiques et claires.
La vie répétitive d'un palefrenier à qui on empêchait de chevaucher ou même de s'amuser.
Après, quand on avait le dos tourné, des galops démentiels et interdits dans la plaine, tes courses à ne plus pouvoir respirer, à ce que tes prothèses se brisent, puis en finalité, les engueulades, la bien énervante morale, la punition, l'enfermement obligatoire dans ta chambre, et ta rage qui passait à faire des avions et des grues en papier, à déchirer des bouquins scolaire ou de poésie, remplis d’inepties pour les mous.
Puis ça reprenait en cercle éternel.
A dire vrai tu connaissais même mieux les terres inhabitées d'Espérance que la ville. Tu avais vu des choses que la plupart des couards ici n'avait pas vu. Tu avais de nombreuses fois pénétré dans le bois, t’arrêtant toujours devant le mur. Celui-ci tu aurais aimé le gravir mais une aura désagréable l'entourait... Alors tu faisais demi tour, tu revenais vers les champs et les ruisseaux, te baignais dans l'eau glacée jusqu'à à te sentir laver de ce mal-être.
La princesse eût par ce moyen toutes les perfections inimaginables...
Chaque être humain a un petit jardin secret, et tu ne fais pas exception à la règle.
Discrètement tu saisis un petit magasine, lis les questions et coches les répondes. Tu regardes le résultat et ton visage s'illumine.
« Quelle héroïne de bande dessinée êtes vous ?
-Vous êtes Adèle Blanc-sec. Vous aimez découvrir de nouveaux horizons. Vous vivez pleinement en suivant votre volonté et en allant à l'encontre du danger au péril de votre vie. Vous êtes une femme de caractère, adulée par les hommes et jalousée par les femmes. Cela vous réussi très bien, surtout ne changez rien. »
Ce test résumait si bien ton caractère. Pour dire, tu n'étais pas compliqué à cerner.
Tu étais un bon garçon qui avait dû oublier le sens du mot prudence . Pour dire tu vivais pour l'aventure et c'est elle seule qui allumait le feu dans ton regard.
L'autorité ? Tu allais à son encontre quand celle ci se faisait trop entravante. Enfin.. Tu n'es pas spécialement docile à la base car tu es fort, que tu aimes les personnes fortes. La lecture et la réflexion ? Très peu pour toi. L'école ? À bannir. Tu l'avais fuie dés les premiers jours. Trop ennuyeux.
Après il y avait bien des choses annexes. Comme...
Les filles ? Mouais. Elles n'étaient bonnes qu'à la cuisine et à la couture. Elles criaient dés que ça allait un peu trop vite. Si tu devais en prendre une, elle serait une Adèle Blanc-sec, rien de moins !
Les mecs alors ? Tes bons camarades, que voulez vous y voir d'autres ?
Les chevaux ? Ah oui eux tu les aimes ! Tu jubiles à les sentir nerveux, bloqués et dominés entre tes cuisses puis d'un coup d'assiette et de cravache, les voir partir au galop.
Et la prochaine fois tu testeras le rodéo
On ne trouve guère un grand esprit qui n'ait un grain de folie.
Le Reflet est bizarre, le Reflet est tordu, le Reflet représente ce que nous sommes.
Tu y étais allé la première fois car on t'avait dit qu'il était un monde d'aventures et qu'il pouvait te libérer de ton entrave.
En entendant cela tu avais aussitôt découvert ton miroir et tu avais rejoins Morphée. Là bas, à coup sur, tu aurais des jambes.
Tu ne t'étais pas trompé, ou tout du moins, pas complétement : dans ce monde décalé tu es un ptérodactyle. C'est classe et ça fait rêver tous les petits garçons. Si tu n'as pas de jambes, tu as des ailes, pré-historique de surcroit. Tu es libre, faisant vibrer tes membranes au vent.
Tu as longtemps cru qu'un jour à force de voler dans ce rêve tu retrouverais tes jambes dans Espérance mais la vérité s'est un jour découverte à tes yeux. Tu te cachais pour échapper à un ennemi. Immobile derrière un buissons. Un œuf apparut, crût et finit par éclore découvrant ce que chaque enfant cherchait ici : l'autre partie de ton miroir.
Les deux morceaux se réunir et un souvenir terrible te revint à l'esprit : Tu étais assis sur une chaise écoutant le discours d'un homme en blouse blanche qui, de sa voix exécrable d'homme savant, prononça ce que tu aurais préféré ne jamais entendre :
« Aaron ton état de santé est fragile. D'autres pathologies peuvent se cacher derrière ta malformation. Être téméraire pourrait t'être fatal, donc s'il te plait, pour ton bien, arrête ton rêve d'aventure »
Le message était claire : ton entrave n'était pas tes jambes , mais le fait que tu ne supportais pas de rester inactif à cause de ton handicap. Le probléme devenait plus compliqué car ça, tu n'étais pas sur de pouvoir le changer. On ne forçait pas sa volonté car tant qu'à vivre et à mourir, autant le faire pleinement.
Miroir, miroir dis-moi qui est la plus belle ?
Allongé et le visage caché dans la laine d'un mouton, tu repenses à la phrase que tu a pris en pleine face trois jours plus tôt et que même aujourd'hui, tu digères difficilement.
« Si tu n'avais pas été Aaron, tu aurais été beau »
Si tu n'avais pas été toi.... à tout les coups, cela faisait référence à tes jambes ou plutôt, à leur absence.
Si, comme tout le monde, tu avais eu de longue jambes d’athlète, ton portrait aurait été presque flatteur car, il fallait que tu le reconnaisses, physiquement, tu avais de nombreux atouts.
Pour tes treize ans tu en paraissais deux de plus, dépassant tes camarades d'une bonne tête. Tu étais blond, les cheveux en bataille permanente, la peau blanche et le torse large ce qui semblait ne pas déplaire aux filles. Tu avais aussi des mains larges et adroites quand elles le voulaient, une voix posée, l'esprit vif et tout en toi respirait le bon gars. En somme, si on ne prenait que ces éléments tu étais bien au dessus de la moyenne.
En vrai, le handicape venait si bien ternir le reste que tu faisais parti de ces pauvres gueux reclus au Foyer.
À l'aide de tes bras tu te redresses, regardes tes jambes de bois et de métal remontant jusqu'à un moignon de cuisse. C'est vrai que ton amputation des jambes est source de problèmes. Combien de fois n'avais tu pas bataillé de longues minutes, tentant de t'habiller d'un vulgaire jean- T-shirt. Combien de fois s'était-on moqué de toi car ta marche était claudicante.
Et puis, pour ce projeter dans le futur, pourquoi une fille s’intéresserait elle à toi alors que tu as ce corps inapte. Tu t'imagines dans ses bras, dans une nudité parfaite, sans jambe pour mieux l'enlacer, rougis et chasses cette image de ton esprit. Cela appartenait au futur, pas besoin d'y penser.
Tu revisses sur ta tête ta casquette d'aviateur, tu enfiles ton gilet et descends tes lunettes sur tes yeux. C'est parti pour s'envoler.