Je marche depuis trop longtemps. J'ai essayé de lui dire, que je veux courir, que mes jambes me démangent, et j'ai besoin d'aller vite. Elle a répondu qu'il fallait savoir apprécier la balade parfois. Elle a juste la flemme de courir, je crois. Mais bon, c'est pas grave, au bout d'un moment j'ai fait des cloches-pieds, puis avancé pieds joints, ai continué en marche arrière. Et le mieux, c'est maintenant, tour complet à chaque fois que regarder le paysage m'ennuie.

J'ai un peu le tournis. Donc j'arrête, logique. On est au parc. C'est donc là qu'elle veut aller ! C'est vrai qu'elle aime bien les fleurs, les plantes, je crois que sa couleur préférée c'est le vert. N'y tenant plus je me mets à courir, j'avais trop envie de me défouler. Je sais qu'elle me pardonne, parce qu'elle comprend, alors je peux continuer, mais tout à coup, je vois quelqu'un. Je préfère m'arrêter. J'ai envie de lui faire peur. C'est peut-être bête, mais j'aime bien faire ça.

Le tout c'est de ne plus faire de bruit. Se baisser, genoux fléchis. Et aller tout doucement. Mon ombre va bientôt recouvrir l'inconnu, je vais devoir bondir, et crier. Sauf qu'il se relève. Raté. Il parle espéranto, c'est nul. Il me faut du temps pour comprendre. Et ce qu'il dit en plus c'est même pas intéressant. Ah, je me casse la tête pour rien.

Heureusement j'ai pas à lui répondre, c'est ça, être plus jeune, c'est une excuse qui marche toujours, je ne me sens obligé de rien. Puis, elle me parle. Elle a une idée, je rougis un peu, parce que c'est bizarre comme idée, mais elle est sérieuse. Je me mords la lèvre en me balançant d'avant en arrière, comment le dire ? Hum, j'ai trouvé !

- Tu t'appelles comment ? T'as quel âge ? Tu fais quoi, comme boulot ?

Ça peut être une idée pour voir si c'est quelqu'un de bien, parce que si je demande juste « est-ce que t'es quelqu'un de bien ? » il va répondre oui, et peut-être mentir, et j'ai d'autres questions pour être sûr qu'il ne dit pas n'importe quoi. Il ne m'aura pas!

- Et ton poids et ta taille aussi, s'il te plaît.

Parce que si je suis pas un minimum poli, il va pas vouloir répondre, c'est comme ça avec les plus vieux, un mot peut tout changer.

Il se moque de moi j'ai l'impression, je reste calme quand même, je ferais mieux de partir. Mais l'autre répond. Il s'appelle Noix, c'est sérieux ce prénom de fruit sec ? Enfin, c'est une faute pas trop grave, donc pas de pénalité. Dix-huit ans, peut-être trop jeune ? Non, elle dit que non, c'est bon, pas trop d'écart. Elle aime bien le bouquet, même si c'est tout simple. Et on le regarde utiliser l'espace pour montrer ce qu'il fait. Il a l'air à l'aise, mais son plateau invisible a l'air trop léger. Je garde mon air sérieux, faut pas que j'entre dans son jeu.

Il parle quand même trop vite. Alors j'ai pas le temps de répondre à ses questions. Ça n'a pas l'air de le gêner, il parle presque tout seul, du coup. Ça va, il est assez grand, selon elle. Et on comprend pas le mot mignon, autant bizarre on l'a déjà beaucoup entendu, autant mignon, pas vraiment. Je tire un peu sur la capuche requin, pour m'occuper, les fausses dents elles sont douces. En fait, faut que je continue à regarder, avec elle, pour voir si c'est suffisant. Donc je le suis, et je lui tourne autour: pour voir s'il a pas un truc bizarre à cacher. Et aussi parce que j'ai pas envie de rester planter là. Je me tiens le menton avec la main droite et j'hoche la tête par moments, ça fait sérieux.

- Et toi, tu t'appelles comment ? Tu vas à l'école ? Tu dois vivre à l'internat, non ? T'as quel âge d'ailleurs ? Et...

Il parle vraiment beaucoup trop vite, heureusement qu'elle m'aide à comprendre, seul je pourrais même pas répondre à une seule de ces questions. Alors je réfléchis un peu, je parle de moi, ou d'elle ? Non, il va pas comprendre, pas tout de suite. Et pourquoi il pose des questions ? J'ai rien à dire moi. Enfin, si je veux continuer l'inspection faut pas que je l'ignore. C'est chiant. Je suis trop long à répondre en plus.

- Orphée. Des fois. Non, foyer. Sept ou huit, sais pas.

Faut pas trop m'en demander, faire les phrases c'est le plus dur. Alors je vais direct aux informations. Je le regarde prendre les fleurs jaunes, ça me donne d'autres idées de questions du coup. Et elle veut bien m'aider quand c'est dans son intérêt, bizarrement. Donc ça va plus vite, et ça fait des phrases complètes :

- Et c'est quoi ta couleur préférée ? Tu aimes bien Panofsky ?

Je comprends pas la dernière, j'avoue, c'est elle. Elle est intelligente, elle connaît plein de trucs. C'est pour ça que je la crois toujours, elle sait plein de trucs, elle sait ce qui est mieux pour nous.

- Ah... tu aimes bien les filles, déjà ?

Fallait quand même le demander, sinon, tout ça servait à rien. J'aurais dû commencer par ça.

Arc-en-ciel. C'est facile de pas choisir, un peu nul comme réponse.

Bon, elle , elle aime bien, mais moi, je trouve ça facile. Et comme c'est moi qu'il entend, pas le choix, il n'a droit qu'à mon avis. Je me tourne les pouces, parce que je peux pas continuer à bouger: plus rien à regarder. Au moins, c'est pas un monstre. Il me montre les fleurs, et continue sur un exemple, c'est logique. Mais comme sa réponse était nulle il faut que je trouve autre chose:

Mais pour les... euh... les amoureux, les bouquets c'est souvent que du rouge, des roses normales.

Les roses blanches c'est mieux pour les enterrements, ajoute-t-elle. J'hausse les épaules, possible. Je ne me rappelle pas d'enterrements, c'est plutôt bien. La mort, tout ça, c'est assez nul, ça emporte toujours et ça rend jamais. Bref, comme j'aime pas le sujet on repense plutôt aux roses rouges. Elle se penche et je sens son souffle l'oreille : j'aimerais bien un bouquet comme ça. Avant, ça coûtait cher, ici ça doit se négocier. J'acquiesce, on verra plus tard.

- Panofsky. C'est un homme... un vieux, je crois, et pas d'ici, non d'Avant je crois. Ça doit être un vieil homme intelligent. C'est obligé.

Elle ne veut rien ajouter. Elle garde souvent des choses pour elle, parfois, je suis méchant, je crois qu'en vrai elle ne sait rien, et qu'elle cache que du vide. Ça arrive pas souvent. Juste quand elle répond plus, et que je commence à croire les autres, plutôt qu'elle. Heureusement que ça arrive pas souvent. Elle serait blessée, sinon.

- Si.. si j'aime les filles ? Waha ! Mais un peu que j'aime les filles ! Pourquoi ? Tu en connais ? Et comment ça "déjà" ?

C'est rassurant, je souris, un peu trop je crois. Elle semble soulagée. À nouveau j'ai des doutes sur quoi dire. Je vais pas mentir, déjà, j'aime pas les gens qui mentent. Ils ont rien compris, c'est pas aux autres qu'ils mentent, c'est à eux, et c'est nul.

- Déjà parce que déjà. Parce que c'est ce que j'avais à demander dès le début.

Et parce qu'elle a un peu insisté, mais ça, c'est autre chose. Il a pas à le savoir. C'est pas bon de savoir trop de choses.

- J'ai une amie que j'aime beaucoup. J'essaie de lui faire plaisir.

Dire ça avec le sourire, ça devrait marcher. Après j'espère qu'il va pas réagir comme un idiot. Sinon il va la décevoir, surtout maintenant qu'il a dit qu'il aimait bien les filles. Et je lui dirais pas qu'il lui plaît, déjà parce que je sais pas vraiment en fait. Mais en tous cas elle est contente. Ou alors c'est juste parce qu'elle se fout de moi.